Le Contournement : Què tourment!

De la fiction, vraiment ?

 Ce jeudi matin-là de mi-novembre Roger démarre vers 5h son semi-remorque et sort des entrepôts du groupe Elfe pour aller livrer des artifices qui serviront à animer le feu d’artifice du 1^er de l’an à la tour Eiffel, dure journée en perspective !

Au même moment Julien sort de l’aire de Lançon de Provence et inscrit dans le trafic son 38 tonnes lourdement chargé de produits pétroliers ; Il peste contre ce temps pourri qui s’abat sur la région et génère un brouillard gênant et fatiguant qu’il devra dompter pour être à Nîmes avant l’ouverture de la station BP.   

Rodrigo lui est au volant du bus Eurolines qui relie Gênes à Barcelone avec 40 passagers chaudement endormis sous leur couverture. Il fait une halte après de péage de St martin de Crau pour satisfaire un besoin naturel. Il stoppe son bus très doucement pour ne pas réveiller ses passagers car il ne veut pas perdre trop de temps. Il peste contre ce p. de brouillard !

Sur le Rhône la visibilité est très réduite, Hans le capitaine du « Rhône Queen » est furieux, il doit absolument retourner son navire pour le positionner en direction de Lyon sans perdre de temps et avec ce mauvais temps c’est pas gagné. Malgré tout il décide de tenter la manœuvre et fait larguer les amarres. Il écarte son bateau du quai pour se positionner au milieu du fleuve. Son idée c’est d’aller virer plus en aval à la hauteur du chantier naval afin de profiter d’un courant moins puissant. Pour cela il doit franchir le pont qui relie Arles et Trinquetaille puis celui de la N113 et retour. Il commande l’en avant doucement et se concentre sur l’espace d’eau à l’avant du bateau, il ne voit plus les quais. Le radar lui indique l’approche des piles du 1^er pont, Hans est un marin aguerri, il sait anticiper et passe sans encombre entre les parois de béton. Le 2ème pont est plus facile à franchir et le bateau de croisière passe sans encombre. Le radar lui indique qu’il est face au chantier naval, à la faveur d’une déchirure dans le brouillard il en aperçoit la famélique carcasse. Il stoppe les machines et enclenche le propulseur d’étrave avant, le bateau glisse calmement vers bâbord. Le propulseur d’étrave arrière entre en action et la poupe part à tribord. Hans stoppe tout et laisse le navire glisser sur son erre et se retourner tranquillement vers l’amont.

Il respire profondément et par légères actions sur les propulseurs il dirige le bateau franchement sur l’amont. Les passagers n’ont rien perçu de ces délicates manœuvres, le départ se fera à l’heure !

Rodrigo est reparti doucement et progresse péniblement. La circulation est dense et il n’est pas 6h !

Il double un semi-remorque noir marqué d’un elfe blanc et se retrouve derrière un autre semi-remorque citerne qu’il ne peut doubler car à l’approche d’Arles le flux local de voitures vient perturber la progression des véhicules qui transitent de l’Italie vers l’Espagne. Ce tronçon n’est pas une autoroute concédée mais simplement une route nationale à 4 voies, c’est une anomalie remarquable car elle est unique sur la liaison autoroutière entre le sud de l’Italie et le sud de l’Espagne. Vingt-cinq ans que ça dure l’Arlésienne de Bizet elle est là !

Pavel s’est réveillé de mauvaise humeur, il est en retard pour sa réunion aux papeteries Etienne à Trinquetaille qui devrait assurer du travail pour son bureau d’études à Belgrade. Il se douche sommairement, avale une tasse de café, s’habille et descend en trombe les escaliers pour prendre sa voiture garée au parking Gabriel Péri. Le brouillard et une légère pluie contrarient un peu plus son humeur. Son GPS lui indique 2 itinéraires et il opte pour le plus rapide qui le fait passer par la N113. Il tourne à gauche au théâtre et prend le boulevard Clémenceau, deux feux tricolores à passer et il sera presque sur le pont qui franchit le Rhône sur la N113. Le premier n’en finit pas de passer au vert, voilà c’est fait et là-bas le second est au vert, alors il accélère et passe in extremis à l’orange dans le brouillard et la pluie. Sa vitesse excessive ne lui laisse pas le temps de comprendre qu’il arrive au bout de la courte bretelle, tout va très vite et dans une inconscience suicidaire il débouche sur la voie rapide.

Julien lâche un juron et s’arc-boute sur les freins, son camion glisse sur la chaussée et percute de plein fouet l’arrière d’une voiture qui a débouché devant lui, la semi se met en portefeuille et balaie deux voitures qui doublaient et se couche sur la chaussée. Le vacarme réveille les habitants de la Roquette qui vivent en contrebas de la voie rapide. L’amas inextricable de véhicules est poussé par la vitesse à l’aplomb du pont sur le Rhône. Le bus de Rodrigo ne peut éviter la semi de Julien et s’encastre dedans. Tout s’embrase dans une forte déflagration ,l’essence libérée ruisselle sur la chaussée et s’écoule à présent en cascade sous le pont. La déflagration a provoqué un trou béant dans la chaussé et mis à jour la voie piétonne et cyclable qui se trouve en dessous du tablier du pont, l’essence s’y engouffre et s’échappe sous le pont. Hans voit arriver impuissant sur son bateau un tsunami de flammes qui se propage très vite, prenant au piège une grande partie des passagers encore dans leurs couchettes.

Roger lui non plus ne peut rien faire pour stopper son 38 tonnes qui s’encastre à son tour dans le bus d’Eurolines, nouvel embrasement, la semi prend feu à son tour et les flammes atteignent le chargement. Les artifices explosent les uns après les autres dans une véritable fournaise. Les fusées enflammées se déversent sur la Roquette propageant l’apocalypse, des toits s’enflamment ainsi que des voitures.

Il ne s’est pas passé plus de cinq minutes depuis l’entrée intempestive et inconsciente de Pavel sur la N113.

Les véhicules suiveurs ont pu avec beaucoup de mal stopper dans un froissement de tôles général mais sans mettre en péril la vie des passagers qui s’enfuient à grandes enjambées pour ne pas subir les flammes.

Les pompiers sont là très vite, cette zone est accidentogène et ils sont sensibilisés pour accomplir des interventions rapides. Ils sont très vite débordés et assistent avec une certaine résignation au spectacle de l’apocalypse. Les renforts arrivent, police, gendarmerie, pompiers des villes environnantes mais le pire est arrivé. Le sous-préfet vient coordonner les secours et compte les morts. Pavel a été le premier à décéder d’une rupture des cervicales puis son corps a brûlé, comme celui de Julien, de Rodrigo et ses 40 passagers, de Roger, de trois des six passagers des deux voitures fauchées par la semi de Julien et de 61 passagers du « Rhône Queen » pris au piège dans leur cabines.

Trois personnes âgées n’ont pu être extraites à temps de leurs chambres vétustes à la Roquette.

La voie rapide a dû être fermée plusieurs jours entraînant de lourds retards pour les usagers de l’axe Italie-Espagne et des embouteillages monstres dans Arles.

A Paris, au ministère de la transition écologique et solidaire en charge des transports, de jeunes énarques réfléchissent à trouver une solution pour que cela ne se reproduise jamais comme l’a affirmé avec une émotion perceptible le président de la république, mais le chemin sera long car le dossier doit être repris à zéro.

D’autres fonctionnaires fins connaisseurs du dossier concernant le contournement autoroutier d’Arles font grise mine et profil bas. Dans leur for intérieur ils savent que ce drame terrible et impensable aurait pu être évité !

Arles le 5 novembre 2017

Roland PASTOR   

Photo ASSPB :